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text / 평론

critique_Céline Flécheux

Heung-Sup Jung 

Donner corps aux images



Le travail artistique que Heung-Sup Jung a engagé depuis plusieurs années témoigne de l’acuité du problème du passage de la deuxième à la troisième dimension aujourd’hui, notamment quand des images numériques sont choisies comme modèles de production pour des objets. Quel mode d’existence ont, en effet, les objets qui sont réalisés à partir d’une image virtuelle et quel statut occupent de telles images ? Toute la pratique de Jung semble amener à reconsidérer les rapports entre image, modèle et réel. 

 

La feuille de papier est le premier témoin sensible du passage du virtuel au réel lorsque l’on imprime une image ; elle est, en effet, le premier support sur lequel on voit apparaître l’image dans le monde réel. Jung commence par choisir l’image d’un objet sur l’ordinateur (boulon, bouton, animal, etc.), il l’imprime, la déchire et la recompose en volume avec les morceaux de papiers. Le boulon issu d’une explosion numérique se met à occuper un espace tangible, le bouton créé par ordinateur est sectionné en autant de feuilles qu’il en faut pour l’imprimer et les patates conçues par informatique finissent par former un tas à dimension réelle là où l’écran ne donnait qu’un volume virtuel. Chaque image de départ est soigneusement choisie pour son sens, qu’il soit symbolique (l’agneau) ou futile (le bouton), de même qu’un soin particulier est apporté à chaque réalisation, parfaitement exécutée. Contre toute attente, la légèreté et la fragilité des objets créés leur donne une certaine gravité, car on comprend bien qu’il s’agit de penser ce qui se passe entre le virtuel et le réel, l’imagination et la réalisation, le projet et la mise en forme.



Confronté à deux choses — à une image qui est une capture d’écran de l’objet (portrait, boulon, agneau, etc.) et à l’objet réalisé à partir de son image —, le spectateur est placé dans un entre-deux flottant créé par la matérialisation d’une réalité virtuelle. Heung-Sup Jung n’ajoute donc pas une image à notre société déjà fort encombrée, mais il pense un entre deux pôles (virtuel et réel) qu’il rend visible par un surplus de réalité accordé à la virtualité. Le choix de l’agneau est ici exemplaire : animal prosaïque et mystique, il invite à prolonger la réflexion sur l’entre deux mondes et l’artiste devient celui qui donne un corps à ce qui n’en avait pas. Jung extrait des images d’une source prolifique et sans fin, où des volumes sont conçus par des représentations en trois dimensions grâce à des logiciels de modélisation d’objets ; il leur donne un corps qu’ils n’ont jamais eu et qui leur est inutile, car leur seul mode d’être est virtuel. Il réinjecte ainsi des objets dans le monde factuel dont nous ne connaissons les originaux que sur écran ; en les dotant d’une existence physique, il les introduit également aux métamorphoses du temps et à la vulnérabilité de la matière.

 


Chez Jung comme chez tant d’autres artistes de sa génération, le problème de l’image n’est donc plus prioritairement de l’ordre de la ressemblance ni de la représentation, mais du jugement. Seule, l’image n’est rien et ce n’est qu’incluse dans une relation — au temps, au monde — qu’elle trouve toute son épaisseur. Donner de la profondeur à l’image revient à la penser sur un fond, au risque de demeurer gratuite et close sur elle-même. Dans le large spectre qui balaie la notion d’image, on pourrait distinguer à chaque extrémité une image-type dont on trouverait l’écho dans les productions de Jung. On pourrait ainsi opposer, abruptement il est vrai, une image asservissante à une image libératrice ; la première s’adresserait uniquement au premier degré des sens et susciterait le désir de la prochaine image, tandis que l’autre permettrait distance, réflexion et intelligence. La première ferait croire à une prétendue richesse qui ne serait que quantitative ; elle s’inscrirait dans un flux captivant qui engluerait le spectateur dans des valeurs relatives. A l’extrême opposé, l’autre image serait adossée à autre chose qu’elle-même, à ce que Jean-Luc Nancy a nommé « un fond » où Luc Nancy se jouerait un certain rapport à la vérité. Une image « coup » d’un côté, une image profonde de l’autre ; une image médusante contre une image critique qui ne viserait ni à tromper, ni à annihiler le spectateur ; une image close sur elle-même qui se donnerait pour forte contre une image ouverte qui, pour cette raison, serait probablement plus faible comme image, mais plus riche dans son statut. Tout le travail de Jung consiste à dévoiler l’immatérialité de l’image prétendument forte et à la faire entrer en relation avec son double dans le réel. Grâce à pareil déplacement, l’artiste occupe une position unique à partir de laquelle il relance la question critique des rapports entre l’image et la pensée. 


Céline Flécheux


/ maître de conférences en esthétique à Paris VII - Denis Diderot

/ Ouvrage publié: "L'horizon, des traités de perspective au Land Art " (PUR, Rennes, 2009)



Novembre 2009





 Explosion / 2009 / installation : paper sculpture / 700 x 810 x 500 cm


 Digital fossil / 2009 / installation : paper sculpture / 21 x 29 x 7 cm 


 Potatoes / 2009 / installation : paper sculpture / 200 x 200 x 80 cm


 Lamb / 2009 / digital print / 84 x 56 cm